• Au ciel, au ciel, au ciel

    Le  chat qui voulait aller au ciel

     (Inspiré d'une histoire bouddhiste)

     

     

    Il était une fois un peintre japonais très, très pauvre... Le plus pauvre parmi les démunis dont les ressources n’allaient qu’en s’amenuisant et qui perdait peu à peu courage malgré toute la sagesse que sa foi lui conférait.

    Un jour, il dit à sa vieille tante qui logeait avec lui n’ayant guère les moyens de se subvenir plus que lui :
    "Ma tante, prenez cette dernière pièce d'argent que nous avons, et allez nous acheter encore le peu de nourriture qu’elle nous vaudra, nous n'en avons presque plus... Et, après, cela eh bien... nous nous coucherons et le destin décidera de ce qu’il adviendra..."

    Et la vieille s'incline et s'exécute. Elle s’en revient un peu plus tard, mais au lieu d'avoir rempli son cabas de riz et d'autres nourritures, elle porte dans son kimono un tout petit chat.

    Le peintre s'étonne, consterné et la vieille gênée lui explique que sortie pour leur offrir un dernier repas, elle n’a pu faire quelques pas avant d’arriver à une petite échoppe qui exposait le chaton.
    " O mon neveu, je sais que je n'ai pas suivi vos ordres, et je sais aussi que cela ne semble pas raisonnable, mais j'ai plutôt acheté ce petit chat car il y a, dans le premier regard que nous avons échangé la promesse d'un heureux avenir...".

    Le peintre hoche la tête désespéré mais calme, il quitte la pièce, remplit une écuelle et la porte au chat. Ce dernier prend poliment possession des lieux mais, pendant une grosse semaine, il ne touche pas à la nourriture. Comme s'il avait compris qu'il n'en restait plus beaucoup dans cette maison et que chaque bouchée doit y être mesurée.
    Le peintre, d'ailleurs, le remarque, s'étonne et se sent touché par l’attitude du chat. Mais il ne reste quand même presque plus rien à manger dans la pauvre demeure...

    Le matin suivant, on frappe à la porte. C'est le prêtre du grand temple de la ville qui vient proposer au pauvre peintre de réaliser une fresque de la mort du Bouddha dans le plus grand temple de la ville... Le peintre croit rêver car le voilà lui et sa maisonnée sauvée de la misère et de la mort. Cette œuvre devait lui apporter plus que jamais, il n’avait rêvé avoir :

    la richesse bien sur mais de plus la gloire et le respect de tous.

    Le peintre jette un œil au petit chat, puis à la vielle bonne, esquisse un sourire et... bien entendu, il accepte. Le petit chat, en faisant un petit miaou timide, commence enfin à lécher un peu de son écuelle...

    Et le peintre se met au travail... or selon la légende, lorsque le Bouddha a été à l'article de la mort, toutes les créatures de la terre, humains et animaux, ont dépêché des représentants pour lui rendre un ultime hommage. Toutes, sauf les chats... trop paresseux, trop orgueilleux, trop indépendants, ceux ci ne se mêlèrent pas à l’hommage et auraient été maudits par le dogme de la légende bouddhiste et exclus du paradis à tout jamais. Alors le peintre commence sa fresque ... Il dessine le Bouddha, allongé sur le flanc, couché sur un lit de pétales de roses ... Tous les animaux et toutes les créatures en hommage prêt de lui … et les mois courent sur un titanesque travail de précision et de respect des textes. Le petit chat, toujours à ses côtés, sans faire de bruit ni bouger d'une vibrisse, le regarde, intensément ...

    Puis, le peintre se met à peindre l'éléphant qui, toujours selon la légende, est le premier à être venu rendre au Bouddha son dernier hommage.

    Et le petit chat est toujours là, comme absorbé par le travail du peintre...

    Puis, c'est le tigre, puis le rat musclé, puis le serpent à lunettes, la gélinotte huppée, l'ibis de Nubie, le harfang des neiges, la tortue des Galápagos, le chameau à deux bosses de Bactriane, l'agouti mundi, l’escargot géant du Centre-Sud, le marabout ... Et le petit chat est toujours là, intensément là, sans bouger, mais tout vibrant de ce qui doit arriver malgré tout ...

    Et le peintre poursuit sa toile en dessinant le cheval, la girafe, le hérisson, le chat sauvage hottentot, le rat géant de Sumatra, l'ornithorynque nain, le toucan commun, la gazelle de Kruger, le lépidoptère de Nouvelle-Guinée...

    La complicité entre l’artiste et le félin est à son comble et pourtant quelque chose y manque ... Le peintre se met à lui parler un peu, puis plus, puis enfin tout le temps.

    Un jour, n'y tenant plus, ayant il s'adresse au petit chat :
    "Écoute... tu sais que... je ne peux pas te peindre dans la fresque parce que..."
    Et le petit chat baisse les oreilles, lance un " hwmrmw " un peu triste, et va se rouler en boule au fond de la pièce, brisant le cœur du peintre attaché plus qu’il ne l’aurait du à l’animal qui s’est confié à lui avec toute la candeur d’un enfant.

    Le dilemme est terrible pour notre peintre, il hésite, doute, conscient de lutter contre une hérésie qui lui coûterait tant mais donnerait au compagnon de son âme le seul bonheur qu’il n'ait jamais réclamé. Mais finalement, priant que nul ne l’aperçoivent, il dessine en toute fin de sa fresque, à l’ultime angle de toile, si petit qu’on oublierait aisément de le remarquer, un petit chat tout à fait conforme à celui que la folie d’un jour de désespoir lui a offert.

    Le lendemain matin, en voyant ca, le petit chat est transporté d'un tel bonheur qu'il meurt de joie. Désemparé et éprouvant pourtant une énorme satisfaction, le peintre présente enfin la fresque qui est exposée dans le grand temple.

    La première réaction voit l’ensemble de la communauté exprimé le plus pur ravissement et le respect le plus profond pour l’œuvre magnifique réalisée par le peintre mais un curé un peu plus attentif que les autres remarque la minuscule forme tout à l'extrémité du tableau et s’indigne de l’hérétique présence d’un chat :  "Profanation! Sacrilège! Péché mortel !"

    Le peintre s'attrista d'être même trop pauvre pour avoir un sabre pour convenablement mettre fin à sa vie. La vieille tante se mis à douter d’avoir vraiment eu une si bonne idée et l'écuelle du petit chat restait inutilement posée à terre.

    Puis la nuit vint et le lendemain, le petit prêtre qui allait ouvrir les stores du grand temple, se frotta les yeux quand il jeta un œil sur la fresque promise au bûcher et en resta bouche bée. Enfin il se précipita pour réveiller le grand-prêtre, lequel accourut pour voir l’œuvre qu’il avait violemment condamné la veille.

    Et là, le grand-prêtre n'en cru pas ses yeux. Sur la toile, en effet, il y avait toujours le Bouddha étendu sur le flanc, prêt à partir en aller simple pour le nirvana, les traits rayonnant d'une béatitude profonde... a son chevet l’hommage ultime de toutes les créatures de la terre, sauf qu'à l’ultime extrémité, il n'y avait plus de petit chat.

    Quelqu'un, se dit le grand-prêtre en lui-même, les dieux eux-mêmes peut-être, a du vouloir réparer le blasphème pendant la nuit, et a coupé la bordure de la fresque. Pourtant rien n’avait été enlevé, sinon cette silhouette qui avait disparue et le prêtre regardait la toile comme troublé par un détail qu’il ne pouvait plus voir. On aurait dit qu'il y avait quelque chose de changé dans la représentation même du Bouddha, dans son sourire... Oh, pas grand chose, en fait, presque rien... Excepté que ses mains n'étaient plus jointes, mais un peu entrouvertes, et, entre elles, ronronnait un tout petit chat.
     

     

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  • Commentaires

    1
    le petit cheix
    Vendredi 10 Novembre 2017 à 16:45

    un magnifique conte .

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